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[Livre ] Les Taupes : comment des Espagnols se sont terrés pour échapper à la répression franquiste

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Message par Barnabé Lun 9 Juil 2012 - 8:29

Livre : Les taupes, par Jesus Torbado et Manuel Leguineche (éditions Balland, 1979). Titre original : Los Topos, par aux éditions Libreria Editorial Argos.

Pendant et après la guerre civile espagnole, la répression franquiste (phalangistes, garde civile...) s'est appliqué à beaucoup de monde : les anciens communistes, socialistes, syndicalistes, anarchistes, les anciens responsables locaux (maires...) de la République (régime en place depuis 1931), les anciens soldats du côté républicain, les athées, les croyants qui refusaient de se confesser, ou même simplement parce qu'on n'avait pas eu les "bons" amis...
On pouvait être détenu pendant des mois ou des années, frappé, torturé, exécuté après jugement... ou tout simplement éliminé tout de suite : la personne était emmennée faire "la promenade" (el paseo) et on la retrouvait au matin morte dans un fossé au fin fonds de la campagne. (A noter que le camp républicain a aussi commis des exactions, bien sûr).

Pour se protéger, de nombreux espagnols se sont cachés... Pour quelques jours, pensaient-ils. Mais la répression a continué, alors ils ont continué à se terrer.

Ce livre est un livre de témoignages. Un dizaine de témoignages, certains très détaillés, d'autre moins.

- l'un a alterné des cachettes : dans un champ de maïs, dans une ferme, dans un puits (pendant plusieurs mois, jour et nuit, dans la galerie d'un puits)... pour finir par revenir chez lui, où il a passé de nombreuses années caché dans une chambre ;
- un autre a passé 30 ans dans le grenier de la maison familiale, où il ne pouvait ni s'asseoir ni se mettre debout. Sans sortir du tout.
- un autre a passé quasiment 30 ans caché chez lui ; mais lui, il pouvait sortir dans la cour et le jardin car il y avait des murs autour.
- un autre a passé 12 ans, généralement caché dans une chambre ; quand la garde civile arrivait il se mettait dans un trou creusé dans le sol et sa femme ramenait une dalle sur sa tête.
- un autre, grand braconnier, a passé la plus grande partie du temps dans la montagne, à bivouaquer ou bien dans une grotte ; parfois aussi hébergé dans des fermes amies.

Point commun : pendant ce temps, on fouillait la maison, parfois plusieurs fois la même journée, et on s'acharnait sur leur famille pour leur faire avouer où la personne était cachée : passages à tabac, tortures, détention arbitraire entre un jour et plusieurs mois... Et même des exécutions.

La nécessité de discretion était absolue, car dans l'Espagne franquiste, tout le monde pouvait vous dénoncer... et parfois même, un lynchage était possible, les "rouges" étant considérés comme "responsables" de la situation, de la répression frappant le village...

Autre point commun : à part le braconnier, les autres étaient entretenus par des tiers : la famille le plus souvent, parfois un ami. Ces personnes s'occupaient de les nourrir, de sortir les pots de chambre, de leur fournir lecture, occupation, petits travaux manuels si possible...

Malgré les nombreuses amnisties générales prononcées par Franco pendant toutes ces années, les gens se méfiaient ; et effectivement, il y avait des exemples de gens qui se rendaient après ces amnisities et étaient condamné à mort ou à la de la prison. Celui qui avait passé 12 ans caché avant d'être découvert a écopé de 25 ans de prison, heureusement ramenés à 7 ans pour bonne conduite... il a donc purgé 7 ans de prison après avoir été enterré vivant pendant 12 ans !

Ceux qui sont restés 30 ans sont sortis après la prescription générale pour les crimes commis pendant la guerre, prononcée en 1969. 1939 à 1969 : 30 ans. Et effectivement, après 1969, ils ont été bien traités : libérés, on leur a refait des papiers... les journalistes et les curieux sont venus les voir...

C'est une façon très particulière de s'adapter aux "risques et aux situations de crise"... 30 ans emmuré vivant, reclus volontaires...

Pendant toutes ces années, la réclusion était entretenue par la peur, elle-même entretenue par les nouvelles des autres, ceux qui étaient pris ou s'étaient rendus, et étaient emprisonnés ou exécutés... Je pense que personne ne s'est dit spontanément : je vais rester 30 ans. Non, c'est un jour après l'autre, une semaine après l'autre... la situation ne permet toujours pas de sortir... la plupart décrivent aussi un phénomène où ils s'habituent à la réclusion et à la peur latente et préfèrent rester à l'intérieur et à l'abri. Une sorte d'habituation à une situation pourtant intenable. Certaines personnes ne supportent pas : certains camarades ont quitté le puits au bout de tant de jours... et se sont fait prendre. D'autres tombent malades ou font des crises de nerfs...

On voit aussi toute la folie des 3 ans de la guerre civile, où certains étaient engagés du côté qui ne correspondait pas à leurs idées, tout simplement car le recrutement ne leur avait pas laissé le choix. Certains ont commencé la guerre d'un côté et l'ont fini de l'autre au gré des péripéties...

On voit aussi au détour d'un témoignage la façon dont les républicains réfugiés en France à la fin de la guerre civile ont été extrêmement mal traités par l'Etat français...

Des témoignages très impressionnants !


Dernière édition par Barnabé le Lun 9 Juil 2012 - 13:53, édité 3 fois
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Message par Invité Lun 9 Juil 2012 - 9:17

salut Barnabé,

Peut-être un peu HS, mais quand même...Quand j'étais plus jeune, j'avais étudié et retrouvé des anciennes cachettes dans mon coin, qui étaient d'anciennes carrières de calcaire, et dont les bâtisseurs d'églises et de fermes fortes avaient extrait des "pierres de craie" jusqu'au 16ème. Avec des potes, on en avait retrouvé une de 800 m de long, qui avait servi d'hôpital militaire aux Allemands pendant la WW2.

En étudiant un peu la question, je suis tombé sur une thèse assez ancienne (1975-76), je pense, qui expliquait comment ces "grottes" avaient été utilisées comme cache par les populations lors des grandes invasions : aménagements de communs, d'étables, de chapelles... tout était prévu pour y rester plusieurs mois, avec des alimentations en eau qui provenaient directement de l'eau de pluie ruisselant sur les toits des églises. L'eau tombait dans un trou et était redirigée vers une citerne à l'intérieur des grottes. Je vais retrouver le doc, si ça t'intéresse.

Personnellement, je connais encore quelques grottes "oubliées" dans mon coin, et je réfléchis à en faire mon "plan C" en cas de pépin sur le plan B. Par contre, pour y avoir passé quelques jours sans remonter à la surface, tu es méchamment décalé quand tu en ressors. L'avantage, c'est qu'il y a plusieurs sorties, que ce sont de vrais dédales, et que tu peux faire autant de bruit que tu veux, personne ne t'entend de l'extérieur.

Je pense même qu'en Turquie, il y avait carrément des villes souterraines aménagées pour les invasions.

Cordialement,

Edit : un article un peu plus ancien : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1920_num_17_8_7525

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Message par Catharing Lun 9 Juil 2012 - 11:14

par Barnabé Aujourd'hui à 08:29
Livre : Les taupes, par Jesus Torbado et Manuel Leguinche ( éditions Balland, 1979)
pour être tout à fait précis,il s'agit de Manuel Leguineche..
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Message par Kerkallog Lun 9 Juil 2012 - 12:57

Ces cas de longues réclusions volontaires ou dues à la pression d'évènements majeurs sont intéressants à lire sur le quotidien de vie:
comment s'en sortir matériellement,mais aussi moralement!?
Quel enfermement choisir,quelle "liberté"(!):réclusion volontaire ou univers carcéral?
Pas simple à gérer sur une très longue période!
Les cas de l'Espagne franquiste peuvent être comparés à d'autres qui se sont déroulés dans des périodes de chaos ou de régimes totalitaires:
_en URSS,les Vieux Chrétiens ou Vieux Croyants, exilés volontaires dans les années 1920-30 et retrouvés tardivement:vers 1965-70 lors d'expéditions de géomètres-explorateurs soviétiques.
Avec des cas de consanguinité sur de très petites communautés familiales,voire de graves problèmes de santé ou de cohésion de groupe...(je n'ai pas trouvé de liens sur le net:savoir livresque d'époque)
_autres exemples "réclusion-volontaire" ,les soldats japonais isolés sur certaines îles dans la Nouvelle-Guinée après 1945:
ils ont vécu isolés,"oubliés",ne voulant pas croire à la défaite du Japon,et refusant de se rendre sans honneur...il a fallu l'intervention de représentants mandatés par l'empereur pour convaincre les ultimes réticents plutôt âgés dans les années 1960-70 de sortir de la jungle!
http://www.lepoint.fr/c-est-arrive-aujourd-hui/9-mars-1974-le-soldat-japonais-onoda-se-rend-30-ans-apres-la-fin-de-la-guerre-09-03-2012-1439401_494.php
http://expatauxphilippines.blogspot.fr/2011/03/lost-soldiers.html
Il y a même en Europe,en 2012,en France,des personnes qui vivent clandestinement depuis des années pour échapper aux lois,ce sont des formes d'exil-intérieur,de réclusion partielle,pour échapper aux autorités ,cela pour des raisons très diverses...
Les périodes d'amnisties sont révélatrices de cas surprenants [Livre ] Les Taupes : comment des Espagnols se sont terrés pour échapper à la répression franquiste 932945
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Message par Barnabé Lun 9 Juil 2012 - 16:28

En fait, ça ressemble à beaucoup d'autres cas... y compris les maquisards en France... y compris les insoumis et déserteurs (jusque encore récemment en France)... y compris la réclusion volontaire de la famille d'Anne Franck et d'autres... y compris effectivement certains russes ou japonais qui sont restés planqués pendant des dizaines d'années après la guerre.

MAIS, chaque cas est différent.

Ce qui frappe dans ces histoires, c'est :
- le fait de rester quasiment souterrain et/ou emmuré (d'où le nom de taupe que s'est donné l'un de ces survivants et qui a été repris par la suite). La réclusion est extrême : l'un n'est pas sorti de son grenier pendant 30 ans ; d'autres ne sortent jamais d'un chambre et/ou passent des périodes prolongées dans des zones extrêmement confinées (un trou dans le sol ou dans le mur, une petite galerie dans un puits).
- le fait de devoir disparaître totalement, sauf de la famille très proche. Leurs propres enfants ne savent parfois pas que leur père est dans la maison.
- souvent cachés en zone habitée, quasiment sous le nez des gens qui les cherchaient. Ca nécessite d'autant plus de précautions, de réclusion, de silence.
- la durée extraordinaire : 30 ans pour certains !
- la dépendance totale envers des tiers (le braconnier et le dernier et très court témoignage y sont moins soumis) : au fur et à mesure que la situation dure, ils se rendent compte qu'ils ne peuvent pas imposer le risque et le fardeau à des amis ou relations ; qu'ils ne peuvent pas non plus s'en sortir seuls. C'est donc la femme, les frères et soeurs, ou les parents, qui assument cette personne... c'est pourquoi cette personne revient dans la maison familiale... donc dans l'endroit le plus recherché et le plus suspect... d'où ce besoin de précautions extrêmes.
- malgré la présence de ces proches, presque tous étaient les seuls reclus dans leur maison. Il y a donc une terrible solitude. Il y a notamment deux frères qui restent reclus dans deux maisons à quelques dizaines de mètres l'un de l'autre, mais ils restent sans se voir pendant 20 ans, car il serait trop dangereux de sortir, ce sont leurs femmes respectives qui font passer les messages.
- c'est raconté a posteriori, donc on a forcément les témoignages de ceux qui sont restés très longtemps, et qui sont encore vivants. Ceux qui ont été pris et fusillés, on n'en parle que de façon indirecte. Ceux qui sont restés peu de temps reclus, mais qui ont survécu néanmoins... ne sont pas vraiment des taupes, ne sont pas l'objet du bouquin. La réclusion la plus courte décrite est de 9 mois.
- cette réclusion vient notamment de la nécessité de rester longtemps invisible, dans un pays franquiste, donc avec de très nombreux délateurs potentiels. Le maquis semble une solution, mais : des bandes de paysans révoltés et de bandits de grand chemin y vivaient, mais il y avait une répression contre eux et les rangs s'amenuisaient... De plus, les campagnes étaient fortement peuplées, les forêts relativement rares... donc beaucoup de chances de tomber sur quelqu'un. Plusieurs des "taupes" du bouquin ont pris le maquis un moment court ou long, avant de se rendre compte que ce n'est pas tenable au long terme (froid, nourriture, répression...)
- Les 2 seules bonnes alternatives, me semblent-ils, étaient : l'exil ou le changement total d'identité. Mais ces deux solutions sont difficiles à envisager et à mettre en oeuvre, pour des gens pauvres, attachés à leur terre et à leur famille, et qui attendent (au début) "quelques jours", le temps que ça se tasse (en fait, les gens avaient du mal à imaginer que le régime franquiste durerait ET qu'il n'y aurait pas non plus d'oubli, prescription ou amnestie... souvent ils redisent leur étonnement de voir que la traque ne faiblit pas, qu'ils risquent toujours la mort si ils sortent... En gros, il leur manquait la vision que ça allait durer longtemps et qu'ils feraient donc bien de prendre d'emblée des mesures énergiques). Des gens qui avaient souvent, déjà, été séparés par la guerre civile et étaient contents de rentrer... Après, là aussi, le bouquin ne parle pas des exilés (ou de façon indirecte) ; ils étaient sans doute plus nombreux, mais c'est pas l'objet du bouquin. Le changement d'identité : pas facile à réussir à long terme, dans un état policier, même en partant à l'autre bout du pays...

Par rapport à l'objet du forum, qui est plutôt de fournir des solutions... eh bien, on retient principalement qu'on ne veut surtout pas finir comme eux ! C'est vraiment une sorte de bouquin d'horreur, c'est la façon dont on ne veut SURTOUT PAS passer les 30 prochaines années de sa vie ! affraid
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Message par Invité Lun 9 Juil 2012 - 17:02

Salut Barnabé,

il peut être intéressant d'essayer d'imaginer comment de telles situations seraient simplement possibles aujourd'hui. Là, on parle d'une situation de guerre civile à une époque relativement lointaine (tant sur un plan technologique que psychologique).

Les caméras thermiques n'existaient pas, à l'époque. Il pouvait donc être impossible de détecter une cache si elle était bien faite. Aujourd'hui, les chiens policier sont dressés à la recherche des personnes ; les caméras thermiques, les détecteurs d'activité cardiaque...rendraient ce type de cache totalement impossible.

Un autre point qui me paraît très différent aujourd'hui, c'est l'étendu des réseaux de connaissance, notamment par le biais des réseaux sociaux. Ces réseaux soulèvent deux points :

- le fait que de plus en plus de gens nous "connaissent" et sont donc susceptibles de faire l'objet de questionnement de la part des autorités. Le cercle de ces relations étant de plus en plus éloigné, le risque de se faire "vendre" est d'autant plus grand ;

- le fait de l'addiction extrême générée par ces réseaux sociaux (j'ai des cas dans mon entourage "lointain") qui rend les gens dépendants de ces contacts virtuels. Je suis persuadé que, même face à la nécessité, certains sont devenus des purs produits de l'ère de la communication permanente à un point tel qu'ils ne pourraient s'empêcher de continuer à communiquer...ou mourraient d'ennui, ou deviendraient fous, tout simplement. De nombreux témoignages, notamment de personnes privées de liberté (bagnes, camps de concentration...) démontrent que ceux qui ont survécu à l'isolement avaient une très grande "richesse intérieure", qui leur permettait de se distraire avec un rien.

Un autre point : l'explosion du noyau familial. Aujourd'hui, les familles monoparentales représentent un peu plus de 20% des familles avec enfants (INSEE). C'est-à-dire que 1 famille sur 5 ne compte qu'un seul adulte, donc, bien souvent, qu'une seule source de revenus. La réclusion à long terme impliquant, comme tu le disais, une dépendance totale du reclus envers sa famille, elle n'est donc déjà plus envisageable pour 20% des familles en France...

Alors oui, je partage ton avis : l'exil ou le changement d'identité sont les seules solutions valables. Et, en prévention du risque : un effacement progressive de toutes les traces que nous laissons partout et en permanence.
A titre d'exemple : pour me rendre sur mon plan de repli, j'évite les excès de vitesse (pas de contravention), je ne prends pas les autoroutes (pas de péages), je ne paie rien en CB (pas de trace de paiement) et j'évite les stations service équipées de caméra. C'est peut-être futile et pas complètement efficace, mais ça me permet de n'avoir aucun lien récurrent avec ma BAD.

Cordialement,


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